Le petit article du jour va consacré la ville ou j’ai passé toutes mon enfance, et d’ou sont originaires mes parents (et la plupart de mes grand-parents) : Bischwiller (Bas-Rhin).

Bischwiller doit sa fondation, à la fin du XIIème siècle, aux Evêques de Strasbourg, auxquels l’Empereur Henri II avait accordé, dès le début du XIème siècle, d’importants domaines de chasse au nord de Strasbourg.
Selon la tradition l’évêque Conrad de Hunebourg fait édifier vers 1190 une cour domaniale sur les berges de la rivière Moder. « Bischofeswiller » était né et se développe en un hameau qui fut malheureusement incendié en 1263 par les Strasbourgeois en conflit avec l’évêque.
XVIIIe Siècle :
Au XVIIIème siècle, l’historien alsacien Jean-Daniel Schoepflin (1694-1771) décrit la ville comme suit :
« Bischwiller, (…), est un bourg très florissant sur la Moder, entre Drusenheim et Haguenau. Il compte vingt-quatre rues et quatre cent quatre-vingts feux ; il est divisé en cinq quartiers nommés : le premier, Schloss und Kirchviertel ; le second, das teitische Dorf, c’est le plus ancien ; le troisième, das welsche Dorf ; le quatrième, das Vorstœttel ; ces deux derniers ont été bâtis, vers 1620, par les Phalsbourgeois qui sont venus s’y établir ; le cinquième, das neite Gassviertel, a commencé à être bâti en 1708. »
En suivant cet auteur, il faut donc comprendre qu’en son temps, Bischwiller est divisée en cinq quartiers. Les plus anciens quartiers sont le quartier de l’église et du château avec le village allemand. À ce noyau originel se sont rajoutés au XVIIème siècle, vers l’ouest, le village français et le faubourg, bâtis par des réfugiés huguenots francophones ; puis au début du XVIIIème siècle, le quartier de la nouvelle rue (actuelle rue Clemenceau).
Industrialisation (1815-1871) :
L’instabilité politique et militaire des dernières années de l’Empire napoléonien furent néfastes aux activités textiles bischwilleroises. Pour pouvoir se maintenir des drapiers et des investisseurs regroupèrent leurs capitaux et créèrent les premières manufactures de la cité ; telles la Leroy et Compagnie, la Goulden et Compagnie ou la Heusch et Weiss. En 1818, cette dernière fit fonctionner 18 métiers à tisser.
Ces premières entreprises introduisirent le machinisme. En 1810, la maison Goulden équipa ainsi sa filature d’une machine à carder la laine de type Douglas. Ces équipements permirent de réduire la main-d’œuvre et les coûts de fabrication. Deux hommes sur une épailleuse remplaçaient le labeur manuel de près de quarante ouvriers. Le dynamisme de ces entrepreneurs fit que la vente de draps passa de 1 million de francs en 1815 à 2,6 millions en 1840. Si en 1818, on compta trente-cinq fabricants, en 1840, on en recensa soixante-quatre dont la spécialité était le drap lourd teinté en noir.
En 1842, le fabricant Kunzer fut le premier à Bischwiller à s’équiper d’une machine à vapeur en remplacement d’un manège à bœufs ou à chevaux. Par la suite d’autres manufactures franchirent ce cap ; Ruef et Picard en 1842, Bourguignon-Schwebel en 1843, Pierson en 1848, Voelckel et Kablé en 1853, etc.
Cette nouvelle énergie permit la diversification des activités industrielles. Ainsi les ateliers de tissage s’augmentèrent de filatures, de foulons et de teintureries. La production de drap grossier s’augmenta d’autres produits tels les zéphirs, les amazones ou les satins-laine. Avec le développement des affaires, ces activités textiles essaimèrent dans d’autres localités proches de Bischwiller, à Weyersheim, à Drusenheim, à Haguenau.
En 1855, ce commerce profita de l’ouverture de la voie de chemin de fer Haguenau – Strasbourg. À Bischwiller, la population doubla en moins de trente ans pour passer de 5 721 habitants en 1841 à 11 500 en 1869. En 1870, près de 5 000 ouvriers dont 2 000 tisserands travaillaient dans les entreprises de Bischwiller. Pour répondre au besoin de main-d’œuvre, 2 200 ouvriers arrivaient chaque matin des villages voisins ; d’autres émigrèrent depuis l’Allemagne (Bade, Wurtemberg, Palatinat).
Annexion allemande (1871-1918) :
Bischwiller ne fut pas directement touchée par les opérations militaires de la guerre de 1870-1871. Les plus proches batailles eurent lieu vingt-deux kilomètres plus au nord à Frœschwiller et à Wœrth lors de la bataille dite de Reichshoffen du 6 août 1870. Cette bataille se solda par la déroute des troupes françaises. De nombreux blessés furent évacués vers Bischwiller. L’hôpital local, inauguré au printemps de l’année 1870, ne comptait alors que trente lits. Pourtant près de 650 blessés arrivèrent. Sur ce total, 128 décédèrent et furent portés en terre en ville. Plus tard, deux monuments, un Français et un Allemand, furent édifiés au cimetière pour leur rendre hommage.
Les premières troupes allemandes (un bataillon de dragons badois) arrivèrent en ville le 12 août 1870. Mais en tout près de 4 000 soldats allemands durent être logés chez les habitants. En plus de cet accueil forcé, vivres et fourrages furent réquisitionnés et la municipalité dut payer une lourde contribution de guerre. Mais au bout du compte le sort de Bischwiller fut nettement plus enviable que celui de Strasbourg, à 25 kilomètres au sud, qui fut assiégée et bombardée pendant près de quarante-cinq jours en août et en septembre 1870.
L’annexion de l’Alsace-Lorraine au Deuxième Reich allemand fit connaître à Bischwiller des années difficiles du point de vue socio-économique. L’industrie locale, essentiellement textile et lainière, très adaptée au goût et au marché intérieur français, se trouva en 1871 coupée de ses principaux débouchés. L’industrie bischwilleroise dut d’un coup faire face à deux difficultés. Premièrement s’intégrer au marché allemand, saturé et plus compétitif et deuxièmement abandonner brutalement le marché français du fait de droits de douanes excessifs sur les produits exportés ; 5 % en 1871 puis 10 % en 1873.
Près d’un tiers des Bischwillerois refusèrent la domination allemande. Les premiers à partir furent les optants qui profitèrent d’une clause du traité de Francfort valable jusqu’en 1872. Cette modalité autorisait les Alsaciens-Lorrains à pouvoir conserver la nationalité française mais sous condition de s’installer en France ; 1 023 Bischwillerois optèrent pour la nationalité française et quittèrent la ville dès les premières années de l’annexion. Mais cet exode se poursuivit les années suivantes sous la forme de l’immigration. Parmi les optants figurèrent 33 familles de fabricants, 42 familles d’artisans, 14 familles de négociants et 16 familles de commerçants. Mais le plus gros de la cohorte des optants furent des personnes appartenant à des classes sociales plus modestes ; 147 familles ouvrières, 13 familles de journaliers, 16 familles de commis, 5 familles de domestiques et 13 familles de retraités.
La majeure partie des industriels et artisans de Bischwiller choisirent cet exode. Ils furent suivis par bon nombre de leurs ouvriers. Ainsi entre 1870 et 1874, environ 4 000 Bischwillerois quittèrent leur région d’origine. Plus de 2 000 d’entre eux s’installèrent à Elbeuf en Normandie ; les autres lieux d’installations furent Vire, Sedan, Roubaix, Tourcoing et Reims.
Bischwiller connu une dramatique hémorragie du point de vue de sa population jusqu’en 1885. En 1869, la population fut estimée à 11 500 habitants. Quelques années plus tard, du fait de la fuite des entreprises du textile et de ses employés, il ne resta plus que 6 815 Bischwillerois ; soit une baisse de près de 40 %.
À partir des années 1880, l’économie locale commença à se remettre de ce choc. Plusieurs entreprises s’installèrent à Bischwiller comme la cartoucherie Walbinger-Meuschel en 1882, la fonderie Pulfermuller en 1883 ou la savonnerie Hirtler en 1886.
En 1885, la Nouvelle Manufacture de Draps s’installa dans les locaux désertés de l’entreprise Blin, cette dernière ayant migré vers Elbeuf en Normandie. Le retour de l’activité économique marqua aussi le retour d’une nouvelle population ouvrière. Ainsi, en 1910 put-on compter 8 149 Bischwillerois. Les autorités impériales allemandes afin de marquer davantage leur présence, construisirent d’imposants édifices comme la Poste en 1896, le Tribunal cantonal en 1899 et plusieurs casernes en 1889 et en 1913.
Créée en 1883 par un groupe d’actionnaires, la Société Alsacienne de Filature et Tissage de Jute (ou plus simplement la Jute) fut l’entreprise qui marqua le plus le renouveau économique de Bischwiller. Ses premiers locaux, situés rue Rampont, prirent le relais de ce qui fut avant 1870 la filature Bertrand et Mannhardt. Par la suite, la Jute devint le principal employeur de la ville.
À son apogée, plus de 1 000 ouvriers s’y affairaient dans la production de toiles d’emballage (filés et toiles de jute), de ficelles et de tapis. Un service de location permettait à ses clients le transport du houblon, des pommes de terre, du plâtre et du ciment. Installée dans l’actuelle rue Joffre à partir de 1887, le développement de ses activités l’obligea à accroitre ses locaux en 1896, 1900, 1905, 1912 et 1924. La direction pratiqua une politique paternaliste envers ses employés avec la mise en place d’une garderie d’enfants, d’un dispensaire de soins, d’un foyer récréatif, d’une chapelle catholique pour ses employées d’origine polonaise, d’une coopérative, d’une caisse d’épargne, etc. Aux abords de l’usine, les familles ouvrières logeaient dans une cité composée de maisonnettes.
Deuxième Guerre Mondial :
Première commune non évacuée sur la ligne du Rhin, Bischwiller devint dès la déclaration de guerre, une ville de garnison. Ainsi, au début des hostilités (pendant la drôle de guerre), des troupes de chasseurs, d’infanterie, de dragons et d’artillerie cantonnèrent à Bischwiller, étant logées soit chez l’habitant, soit dans des bâtiments publics ou encore dans des usines disponibles. Tout autour de la cité, furent implantées des pièces d’artillerie.
Le 2 Avril 1940, Louis Loeffler fut destitué de ses fonctions de maire en raison de son appartenance au parti communiste. Mr Rinckenberger (membre du conseil municipal) fut alors appelé par le préfet à le remplacer.
Quand, en 1940, les Allemands tirèrent des obus depuis la région d’Oberkirch, il y eut des dégâts importants dans le quartier de la gare. Les autorités militaires françaises firent, de leur côté, sauter les deux ponts de la Moder (17 juin). Peu avant l’armistice du 22 juin 1940, il fut question d’évacuer Bischwiller mais cela ne se fit pas car les autorités locales s’y opposèrent. Pourtant les habitants restèrent sans protection après le départ des troupes françaises.
Après la défaite de la France, l’Alsace-Lorraine fut annexée au IIIe Reich et Bischwiller fut occupée par les Allemands du 21 juin 1940 au 9 décembre 1944. L’entrée officielle de l’armée allemande dans la ville eut lieu le 23 juin 1940 et fut suivie de la venue d’un ministre allemand. Alfred Rinckenberger céda alors sa place de maire au Dr Doll (qui avait été jusque-là Burgenmeister d’Oberkirch). Le 1er janvier 1941, celui-ci fut remplacé par le Dr Liewer, qui administra pendant quatre ans Bischwiller en appliquant les principes du parti national-socialiste.
En novembre 1944, Leclerc ayant libéré Strasbourg et le 6e groupe d’armées franco-américain ayant franchi les Vosges, le front s’étendit inexorablement vers le nord et se stabilisa entre la Moder et la forêt de Haguenau. Situé en plein feu, Bischwiller subit des tirs intenses et des violents bombardements de l’artillerie. Cela a provoqué de nombreux dégâts et pendant que la bataille faisait rage, les habitants se terraient dans les abris et les caves. Le 9 décembre 1944, sous les tirs continus des allemands, Bischwiller fut reprise à l’ennemi par les troupes américaines. Alfred Rinckenberger fut alors reconduit dans ses fonctions à la mairie mais il démissionna le 11 janvier au profit de Pierre Klein.
Mais le 3 janvier 1945 une nouvelle offensive fut lancée par la Wehrmacht, qui a de nouveau franchi le Rhin à Gambsheim. De plus, les blindés du 39e Panzer Korps » foncèrent » du nord vers Bischwiller, provoquant un repli stratégique américain derrière la Moder. Sur l’ordre du général de Gaulle, les forces de la 1re armée française du général de Lattre de Tassigny s’approchèrent pour relever les américains. Le 22 février, le capitaine Sauveur Chérifi avec son bataillon du 4e régiment des tirailleurs tunisiens, entra à Bischwiller par la rue de Strasbourg pour aller nettoyer le secteur d’Oberhoffen.
Le 15 mars, le général de Monsabert, (commandant du 2e corps d’armée), dirigea du haut du château d’eau, la dernière attaque. Dans ce but, il envoya en renfort la 3e division d’infanterie algérienne, (commandée par le Général Guillaume) et les goumiers de deux groupes de tabors marocains. La bataille de la Moder s’acheva par deux jours de combats sanglants contre l’ultime résistance allemande.
Finalement, le cauchemar se terminait le 16 mars 1945. Encore une fois les duels d’artillerie avaient lourdement frappé l’agglomération (surtout dans sa partie nord). La ville, qui était sinistrée à plus d’un tiers, se trouvait dans un état lamentable et les victimes (civiles et militaires) étaient au nombre de 280.


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